Communiqué de presse: "La détention des enfants migrants: le Gouvernement belge une nouvelle fois tancé par une juridiction"
20.06.2016 by Tine
La détention des enfants migrants :
le Gouvernement belge une nouvelle fois tancé par une juridiction
Bruxelles, le 20 juin 2016, Communiqué de presse commun
Le Conseil d’Etat[1] vient de donner raison à UNICEF Belgique, Défense des Enfants-International-Belgique, la Ligue des droits de l’Homme, Jesuit Refugee Service-Belgium, le Service droit des jeunes de Bruxelles, Vluchtelingenwerk Vlaanderen, CIRE (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers) et la Plate-forme Mineurs en exil, en rappelant que l’Office des étrangers ne peut détenir en centre fermé, à n’importe quelles conditions, une famille avec enfants mineurs.
En particulier, la haute juridiction administrative annule certaines dispositions d’un arrêté royal[2] parce qu’il autorise la détention d’un seul membre d’une famille avec enfants mineurs, prenant cette personne en otage pour faciliter l’éloignement de la famille, et parce qu’il permet de détenir toute une famille dans un centre fermé, sans préciser de quelle manière ce centre serait adapté aux besoins des enfants.
Les huit associations qui ont introduit ce recours se réjouissent de ce « rappel à l’ordre » et demandent à l’Etat belge de renoncer une fois pour toutes à toute forme de détention d’enfants en raison de leur statut migratoire ou de leur statut de séjour, puisque cette pratique contrevient grandement aux droits fondamentaux des enfants et entraîne pour eux un préjudice considérable. Leurs droits sont inscrits dans la Convention relative aux droits de l'enfant, à laquelle tous les pays d'Europe sont parties. L'intérêt supérieur de l'enfant doit donc être la première considération dans toute décision concernant une famille comprenant un enfant mineur, quel que soit son statut migratoire.
La détention en centres fermés ne saurait justifier le sacrifice des droits de l’enfant
Depuis 2011, la loi prévoit l'interdiction de la détention d'enfants en centres fermés. Une famille avec enfants mineurs en séjour irrégulier, n'est donc en principe plus placée en centre fermé[3]. Des exceptions existent cependant mais exigent qu’en tout état de cause, le lieu de détention « soit adapté aux besoins des familles avec enfants mineurs »[4]. C’est précisément ce que rappelle encore en 2013[5] la Cour Constitutionnelle pour qui la détention d’enfants est illégale si elle se fait dans un lieu qui n’est pas adapté aux enfants et qu’il revient au gouvernement de veiller à ce que les lieux où des enfants mineurs pourraient être maintenus soient adaptés à leurs besoins..
Une famille peut donc résider à des conditions bien précises dans une habitation personnelle ou dans des « maisons de retour », qui sont des lieux ouverts. Les conditions auxquelles la famille doit satisfaire sont formulées dans une convention conclue entre elle et l'Office des étrangers. La famille ne peut être placée dans un centre fermé, pendant une durée limitée, que si elle ne respecte pas les conditions fixées par la convention, à la condition que d'autres mesures radicales mais moins contraignantes ne puissent efficacement être appliquées.
Le 17 septembre 2014, le gouvernement fédéral en affaires courantes a proposé à la signature du Roi un arrêté fixant le contenu de la convention, dont l’obligation, pour la famille, de collaborer à l’organisation de son retour, et a prévu les sanctions correspondantes, sans d’ailleurs envisager que l’Etat pourrait, lui aussi, violer l’accord conclu. L’arrêté royal prévoit notamment qu’en cas de manquement, l’ensemble de la famille ou un seul de ses membres puisse être détenu en centre fermé.
Le Conseil d’Etat, analysant l’arrêté royal du 17 septembre 2014, a émis deux critiques fondamentales :
- Il estime que placer un seul membre de la famille (souvent le père) dans un centre fermé, entraîne une atteinte disproportionnée à l’exercice du droit au respect de la vie familiale, garanti par la Convention européenne des droits de l’Homme et par la Constitution. Il ajoute qu’il « n’aperçoit pas en quoi [la mesure] serait pertinente pour garantir l’éloignement effectif de la famille, sauf à imaginer, ce qui est à l’évidence inconcevable, que [l’Office des étrangers] entendrait de la sorte retenir un membre de la famille en ‘otage’ pour s’assurer que le reste de la famille se soumettra à la mesure d’éloignement afin de récupérer le membre de la famille retenu. »
- Il considère qu’en se limitant à prévoir que la famille avec des enfants mineurs est maintenue dans un centre fermé, sans formuler l’exigence qu’il soit adapté aux besoins de la famille, le gouvernement ne répond pas à l’exigence rappelée par la Cour constitutionnelle.
Fort logiquement, le Conseil d’Etat annule les dispositions de cet arrêté qui permettent la détention d’une famille avec enfants mineurs ou d’un seul de ses membres. Ceci a pour conséquence que des enfants migrants ou des membres de leur famille ne peuvent pas être détenus en centres fermés, puisque l’Etat se garde, actuellement et heureusement, de soutenir que ceux-ci sont adaptés aux enfants.
La Belgique ne peut enfreindre les droits des enfants migrants
Depuis des années, sous la pression des instances internationales, le Comité des droits de l’enfant et la Cour européenne des droits de l’homme en tête, l’Etat belge a été amené à limiter drastiquement les hypothèses où des familles étrangères avec enfants mineurs peuvent être détenues en centres fermés.
Malgré de nombreuses recommandations et, plus encore, des condamnations sévères, l’Etat belge persiste à vouloir organiser la détention de familles avec enfants dans des centres dont il a été prouvé qu’ils ne sont en aucun cas adaptés aux droits fondamentaux de ceux-ci.
Le durcissement de la loi relative aux étrangers intervenu en 2011 et cet arrêté de 2014 en sont de nouvelles preuves.
Il est dès lors heureux que le Conseil d’Etat vienne rappeler des principes aussi fondamentaux que le droit au respect de la vie familiale (qui interdit la séparation des membres d’une famille sans motifs dûment justifiés et proportionnés) ou le droit de l’enfant de vivre dans un lieu adapté à ses besoins.
Certes, le Gouvernement pourrait tenter d’adopter un nouvel arrêté en expliquant en quoi un centre fermé est adapté aux besoins des enfants. Il aura fort à faire, tant il a été démontré que l’enfermement est hautement préjudiciable à l’enfant, lui cause un traumatisme important et aux séquelles souvent définitives, et nuit à son développement.
Les associations signataires resteront vigilantes pour garantir que les droits fondamentaux des enfants, même séjournant irrégulièrement sur le territoire, soient absolument garantis, sans discrimination ou atteintes injustifiées.
UNICEF Belgique
Défense des Enfants-International-Belgique-
La Ligue des droits de l’Homme
Jesuit Refugee Service-Belgium
Le Service droit des jeunes de Bruxelles
Vluchtelingenwerk Vlaanderen
Le CIRE (Coordination et initiatives pour réfugiés et étrangers)
La Plate-forme Mineurs en exil
Contacts presse :
FR : Benoit Van Keirsbilck – Défense des enfants international – 0497 420 777 – bvankeirsbilck@defensedesenfants.be
FR/NL : Tine Vermeiren – Plateform Mineurs en exil – 02 210 94 91 – tv@sdj.be
NL : Lisa Okladnicoff – Vluchtelingenwerk Vlaanderen – 02 225 44 35 – lisa@vluchtelingenwerk.be
[1] Conseil d’État, Arrêt no. 234.577 du 28 avril 2016.
[2] Arrêté royal du 17 septembre 2014 « déterminant le contenu de la convention et les sanctions pouvant être prises en exécution de l'article 74/9, § 3, de la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers ».
[3] Rappelons qu’auparavant, une telle détention était courante, voire banale. Des centaines d’enfants étaient détenus chaque année dans des conditions inadmissibles, simplement parce qu’ils ne disposaient pas de titre de séjour. Ces pratiques ont valu à la Belgique de sévères condamnation par la Cour européenne des droits de l’Homme, qui a considéré que notre pays leur infligeait un traitement inhumain et dégradant (le fameux arrêt « Tabitha » du 12 octobre 2006 et l’arrêt Muskhadzhiyeva et autres du 19 janvier 2010).
[4] Loi du 16 novembre 2011 « insérant un article 74/9 dans la loi du 15 décembre 1980 sur l'accès au territoire, le séjour, l'établissement et l'éloignement des étrangers, en ce qui concerne l'interdiction de détention d'enfants en centres fermés »