Traquer, ficher, détenir, expulser: les mots-clés du « rapport Bossuyt »
21.10.2020 by Melanie
La « commission Bossuyt » a été créée en mars 2018 pour évaluer la politique de retour menée par la Belgique, suite aux faits présumés de torture subis par des ressortissants soudanais après leur expulsion. Pour rappel, une délégation des autorités soudanaises, invitée par le gouvernement de l’époque, les avait identifiés à l’intérieur de centres fermés. Mi-septembre 2020, le rapport final de cette commission était présenté en commission de l’Intérieur. Le 21 octobre, la Chambre entendait des organisations de la société civile qui ont présentées leur contre-analyse.
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Composée exclusivement d’acteurs impliqués dans le processus de retour (Office des étrangers, CGRA, Fedasil, Police fédérale, AIG, association belge des pilotes et Brussels Airlines), la « commission Bossuyt » structure tout son rapport autour d’un élément clé : le retour forcé. Celui-ci est présenté comme « indispensable » sans qu’aucune donnée concrète ne vienne jamais justifier ce qui apparaît donc comme un parti pris. Les postulats de départ, non étayés et non sourcés, traversent d‘ailleurs tout le travail de la commission, ce qui ne lui permet pas de prétendre au statut d’une évaluation.
Plusieurs questions d’importance sont omises : la coopération avec des pays tiers qui ne respectent pas les droits humains, l’usage de la force, les procédures d’arrestations, les taux de reconnaissance lors de demandes d’asile multiples, les dysfonctionnements dans les procédures de séjour, l’impasse administrative pour les personnes inéloignables... En outre, aucune balise n’est proposée pour les procédures d’identification, qui sont pourtant la raison première de la mise sur pied de ce processus d’évaluation !
La commission affiche la volonté de poursuivre et de ficher le plus possible de personnes (avec et) sans titre de séjour, pour faciliter d’éventuelles expulsions. Elle propose ainsi de créer, à partir d’une base de données globale des empreintes digitales et photos prises lors des demandes de séjour et de visa, un dispositif de fichage massif et glaçant.
Dans le même sens, la commission propose d’allonger les peines d’emprisonnement pour séjour irrégulier de 3 mois à 1 an, pour permettre aux juges d’instruction de délivrer un mandat d’arrêt ou de perquisition permettant d’accéder au lieu de résidence des personnes sans titre de séjour et de les y arrêter. Au-delà du détournement manifeste de procédure - d’ailleurs dénoncé par Collège des procureurs généraux - à des fins de traque des personnes sans titre de séjour, il s’agit d’un bras d’honneur à la mobilisation citoyenne qui s’était opposée aux « visites domiciliaires » dès 2017.
La commission recommande aussi de pratiquer sous la contrainte des « tests d’âge » sur les mineurs non accompagnés pour lesquels un doute sur la minorité subsiste, au mépris de l’avis de l’Ordre des médecins qui interdit formellement ce type de pratiques sous la contrainte ! Déni également de la résolution du Parlement européen du 12 septembre 2013 qui remet en question la fiabilité de ce genre de tests…
SI elles étaient mises en œuvre, ces recommandations auraient un coût éthique, humain et financier exorbitant ! Rappelons que pour la seule année 2018, la politique de retour a coûté 88 millions d’euros, et que les mesures proposées nécessiteront des moyens financiers supplémentaires…
La mission de la commission était d’évaluer la politique de retour. Face aux nombreux angles morts, aux données non prises en compte et au parti pris évident, force est de constater que l’objectif n’est pas atteint. Mais était-ce seulement possible, dès lors que les membres de la commission devaient évaluer leur propre fonctionnement ? Pas d’améliorations d’une politique qui a démontré sa faillite, pas de solutions durables pour les personnes concernées : la voie choisie est celle de l’acharnement répressif dans lequel détentions et expulsions resteront la norme.
Pourtant, d’autres solutions existent. En décembre 2019, des organisations de la société civile organisaient un colloque intitulé « Beyond return » au parlement fédéral. De nombreux intervenants académiques, étatiques ou non gouvernementaux y ont proposé des alternatives concrètes, qui ont été transmises au gouvernement. Il est temps qu’elles soient entendues et suivies !