Et les enfants sans-papiers, on en parle?
12.07.2021 by Melanie
Carte blanche Par Benoit Van Keirsbilck, membre du Comité des droits de l’enfant des Nations Unies, publiée dans Le Soir du
La grève de la faim menée par quelques centaines de personnes qui ne réclament rien de plus que de pouvoir vivre dignement, a remis en lumière les conditions de vie épouvantables de milliers de personnes qui doivent vivre cachées, exploitées, en sous-citoyens pendant des années. Et parmi celles-ci, de très nombreux enfants.
Beaucoup de choses ont déjà été dites mais notre Gouvernement campe obstinément sur des positions de principe mortifères. Je souhaiterais apporter ma contribution pour démontrer l’inanité de celles-ci, en réintégrant les droits fondamentaux, singulièrement ceux des enfants, dans le débat.
D’autres que moi ont déjà largement développé cette approche. Mais je tiens à ajouter une dimension généralement occultée: plusieurs dizaines de milliers d’enfants sont concernés. Si on peut discuter le fait que des adultes ont choisi de rester en Belgique malgré une mesure d’éloignement (ce n’est pas aussi simple, voir ci-dessous), on ne peut pas tenir le même raisonnement pour les enfants.
Beaucoup sont nés en Belgique ou arrivés ici en bas âge, en suivant leurs parents ou des adultes familiers. Ils n’ont pas le pouvoir de décider de rester ou pas, ils dépendent de l’autorité des adultes. Pourtant, ils ont vécu ici, parfois de très nombreuses années, et subissent plus que d’autres les conséquences d’une vie sans papiers: stigmatisation, pauvreté, logement insalubre, changement de lieu de résidence fréquent donc d’école et de cercles d’amis, incertitude quant à l’avenir, angoisse permanente d’être arrêtés, problèmes de santé et de santé mentale, voire comportements à risque.
Des obligations et des procédures non respectées
L’Etat, en ratifiant la Convention internationale relative aux droits de l’enfant, a pourtant pris des engagements dans la sphère du droit international et DOIT les respecter. Ces obligations comprennent la garantie d’une vie décente, de la survie et du développement, la garantie d’un accès à l’éducation, à la santé, à un logement, bref à une vie digne. Ils ont le droit de vivre comme tous les enfants, sans subir de discriminations et dans le respect de leur intérêt supérieur. D’ailleurs, les instances internationales (Comité des droits de l’enfant, Cour européenne des droits de l’Homme, Cour de justice de l’UE, notamment), ont rappelé à plusieurs reprises que toute décision en matière de séjour et d’éloignement d’un enfant doit procéder d’une évaluation individuelle et indépendante de son intérêt supérieur. Il ne peut y avoir d’expulsion sans cet examen auquel l’enfant doit pouvoir participer effectivement. En la matière, nous sommes loin du compte, tant sur le fond qu’au niveau de l’audition des enfants dans les procédures.
Si l’on procède à une évaluation purement rationnelle des coûts et des bénéfices de la politique actuelle, détachée des dimensions idéologiques et partisanes, la balance pèse de manière évidente du côté d’une régularisation massive, la plus rapide possible. La démonstration a déjà été faite: la précarité permet le maintien de pratiques mafieuses (exploitation par les marchands de sommeil, travail au noir, exploitation sexuelle, trafic d’êtres humains…) très difficiles à combattre parce que les victimes ne sont pas en mesure de s’en plaindre. Le manque à gagner est patent et les coûts disproportionnés. Y compris le coût de l’ensemble de l’appareil administratif et policier nécessaire pour faire la chasse aux migrants, dont les enfants. Cette politique est en échec total depuis quarante ans.
De mauvais calculs
Il y aurait actuellement de 100.000 à 150.000 étrangers en séjour irrégulier en Belgique; le nombre de retours (volontaires et forcés) a rarement dépassé les 10.000 par an et est, comme l’indique Myria, en nette diminution ces dernières années. A raison de 10.000 retours par an, il faudrait au moins dix ans pour expulser tout le monde pendant que de nouveaux migrants arrivent et des enfants naissent en séjour illégal. On ne diminuera donc pas sensiblement le nombre de personnes en séjour précaire ou irrégulier.
Le Gouvernement utilise l’argument du respect de la loi: régulariser ces personnes serait une prime à l’illégalité. D’abord, l’illégalité n’est pas toujours du côté que l’on croit, si on se réfère aux nombreuses condamnations de la Belgique par des instances internationales. Ensuite, si la loi n’a pas été respectée, ce n’est pas uniquement du fait d’un choix délibéré des personnes concernées, mais du fait de l’incapacité des autorités de proposer des alternatives entendables ou aussi, et c’est plus courant qu’on ne le pense, de l’impossibilité de mettre en œuvre les mesures d’éloignement pour des raisons de santé, du fait de l’impossibilité de trouver un Etat d’accueil,etc.
Une question éminemment politique et idéologique
Enfin, le Gouvernement se prétend ferme et légaliste alors que la question est éminemment idéologique et politique. Il veut asseoir son autorité, peu importe le coût, y compris en vies humaines. Pourtant, le courage politique aujourd’hui, c’est d’annoncer clairement la régularisation de la toute grande majorité des personnes sans papiers. Certes, une telle position ne sera ni facile à prendre, ni à assumer, mais les politiques qui feront ce choix visionnaire savent que s’ils l’expliquent de manière pédagogique, ils seront soutenus par une large partie de la population.
J’en appelle donc à un sursaut urgent de la classe politique belge en vue de donner des perspectives rapides à toutes ces personnes qui sont dans un état désespéré. C’est la seule façon de respecter tous ces enfants et leurs droits et de satisfaire à nos obligations internationales.